De la première fois où il réussit à « suivre le bleu de la vague », aux plus belles trajectoires de sa vie, le concept de Still-point symbolise la quête du surfeur et de la surfeuse. Pour le débutant c’est juste l’endroit où viser pour réaliser la meilleure trajectoire possible. Pour les autres surfeurs, dont l’expérience reflète une vie de Waterman, c’est juste… exactement la même chose.
Le Still-point est une expression qui décrit à la fois un lieu, un instant et une expérience. Il focalise les dimensions spatiales, temporelles et émotionnelles, dans une bulle guidant le surfeur. Refuge et ressource, souvenir et rendez-vous, le Still-point habite chaque surfeur, d’une manière unique et pourtant universelle. La traduction « Bulle de silence » reflète bien cette évasion hors de la pensée quotidienne. L’émotion liée au Still-point mène souvent ce concept, pourtant brillant, vers des métaphores obscures au regard de la physique classique.
Nous allons donc tenter de l’éclairer d’une définition rationnelle, traduisant néanmoins l’expérience subjective du surfeur. Nous aiderons ainsi l’esprit scientifique observant la scène du bord de la plage, à établir le contact avec les explorateurs de la métaphysique du surf. Des études et réalisations avec divers shapers, il ressort l’importance d’extraire du témoignage des surfeurs, les données précises permettant de concevoir la meilleure planche possible. Le fait est, que dans l’expression de sa passion, le surfeur utilise souvent une terminologie minée d’interprétations très subjectives. Ces libertés de langage brouillent malheureusement la transmission d’expériences précieuses.
D’autre part, le shaper utilise parfois involontairement des arguments comportant des ambiguïtés théoriques. L’hydrodynamique du surf est une science complexe car les facteurs sont multiples, mais c’est un outil théorique performant, offrant une marge de progression indéniable pour le shaper comme pour le surfeur. Il est donc essentiel d’utiliser des définitions rationnelles pour ne pas créer davantage de complexité dans son étude. Une description mystique du Still-point alimente merveilleusement une fin de soirée entre potes, mais elle n’apporte pas de méthode au traçage de l’outline, lorsque l’on établit concrètement, sous le rabot, la géométrie d’une planche dans la Shape room. Nous verrons donc en détail, comment les professionnels du surf gagneront à se saisir d’une définition commune et pragmatique du concept de Still-point, comme « zone d’évolution génératrice d’accélération maximale ».
Que l’intuition de mon ami surfeur intersidéral se rassure, définir le Still-point ne lui enlève pas sa dimension émotionnelle échappant à la tyrannie du raisonnement. C’est au contraire l’occasion de voyager encore sur ce chemin entre la raison et l’instinct. Il est possible que le surf révèle une vision intuitive de la physique, nous proposant une lecture animale et efficace de notre environnement. Pour raisonner en harmonie avec notre instinct, commençons par définir raisonnablement l’univers du Still-point.
POSITION DU STILL-POINT : S’IL EXISTE, IL DOIT BIEN ETRE QUELQUE PART...
Le Still-point peut être envisagé comme le lieu offrant le potentiel d’énergie optimal : Admettons que le Still-point soit la zone, où le surfeur peut exploiter la puissance de la vague avec le meilleur rendement possible. Le rendement étant ici une notion positive reflétant la part d’énergie naturelle que nous parvenons à transformer en trajectoire. Imaginons que le surfeur a réussi son take-off (décollage dans la vague), il termine son bottom turn (virage du bas) et parcours maintenant la vague latéralement en devançant légèrement le déferlement. La vitesse de l’onde de houle lui est acquise. La vitesse du surfeur par rapport au déplacement de houle est donc nulle. Les sources d’énergie alimentant le surfeur sont, à cet endroit, la force de gravité et la vitesse du flux montant de la base vers la crête de la vague. L’énergie additionnelle de variation de dénivelé et celle émanant des manœuvres produites par le surfeur sont considérées ici comme nulles. Le maximum d’énergie potentiellement exploitable par le surfeur, est alors focalisé dans la zone ou la verticalité est la plus parfaite.
La verticalité permet d’appliquer au flux montant, le maximum de la force de gravité, via le poids du surfeur. Dans la réalité le surfeur parvient jamais à se maintenir dans cette verticalité, mais elle reste la zone théoriquement là plus féconde en énergie. Cette zone verticale de la vague est aussi la zone ou le flux montant possède une vitesse égale à la vitesse de houle, qui, additionné à la vitesse de trajectoire, génère un flux relatif important et bien orienté, permettant de faibles angles de planing et donc une faible traînée. Ce flux relatif au Still-point permet aussi des effets de drive de rail et ailerons que le shaper tente de capter. Nous verrons en détail cet aspect et nous reviendrons sur l’importance de pouvoir surfer « haut » dans la vague.
Ajoutons que le Still-point est proche du niveau de la surface de l’océan au repos, il porte ainsi une double signification : c’est aussi le point d’eau calme (Still water level). Le Still-point reflète ainsi l’Energie et l’absence d’Energie dans le même lieu. La dualité de cette vision participe à affranchir la perception du surfeur de l’étreinte du temps.
Il existe souvent dans une vague, simultanément, plusieurs positions répondant au critère de verticalité, on peut estimer que le Still-point est sur la ligne reliant les zones verticales de la vague :
La vision subjective de la ligne des possibles Still-points (Bande grise passant par St1 et St2) en fonction des diverses positions du surfeur (centres de gravité G1, G2, G3) peut être schématisée ainsi :
Vue subjective schématique de la zone du Still-point. La bande grisée représente les zones verticales de la vague. Les sources d’accélération sont dans cette zone. Pour le surfeur en G1 cette bande est au-dessus de son centre de gravité, il ne peut pas extraire l’énergie maximale. Il devra dépenser de l’énergie pour rejoindre cette zone. S’il possède un surplus de vitesse par rapport au déplacement du Still-point, il pourra céder un peu d’énergie cinétique pour remonter le rejoindre, sinon il est préférable de sortir de la vague. Le surfeur en G2 est sur la partie basse de la bande d’accélération, sa marge de manœuvre est faible, mais il peut exploiter la puissance du flux montant au Still-point pour accélérer. Le surfeur en G3 possède une plus grande marge de manœuvre, il surf le haut de la vague, il plane dans le flux montant en récupérant le maximum d’énergie, il peut modifier son incidence pour augmenter sa vitesse horizontale.
Nous voici donc avec une définition géométrique et dynamique du Still-point respectant l’expérience du surfer, utilisable pour l’analyse hydrodynamique d’une planche évoluant dans cette zone.
LA TRANSFORMATION DU TEMPS EN ALIGNEMENT SPATIAL :
En visualisant une ligne passant par les positions du Still-point le long de la vague, les divers moments T1, T2, T3…sont remplacés par une ligne directrice. Cette direction forme un angle avec l’horizontal, similaire à l’assiette en aéronautique, qu’il suffit de viser pour ajuster l’incidence avec le flux.
La vision spatiale du surfeur, lorsqu’il utilise la ligne trajectoire de Still-point comme repère, est une règle à calcul ou il place son centre de gravité, en utilisant l’angle formé par son regard et l’horizontale donné par son oreille interne.
La vitesse est classiquement formulée par une durée et une distance (m/sec), la notion de vitesse est donc liée au temps. Dans sa vision subjective l’observateur n’évalue plus la vitesse, ni le temps qu’il lui faudra pour atteindre un point. Le surfeur se place dans la zone qui produit l’accélération, si cette zone accélère, il accélère avec elle sans réflexion ni action de sa part. En s’affranchissant de la notion de vitesse l’esprit arrive ainsi à évoluer au-delà de ce qu’il pourrait envisager dans un référentiel temporel, il suit la logique géométrique de la vague dans un repère « atemporel ». Hydro-dynamiquement parlant, la planche plane dans le flux montant, le surfeur ajuste l’angle d’incidence (l’assiette) pour main-tenir son centre de gravité dans l’alignement de la trajectoire du Still-point. Un regard directionnel dans l’axe reliant ST1 à ST2 (fig. ci-dessus) et une planche répondant de manière intuitive à ses intentions plongent le surfeur dans une sensation de calme. Cette pensée « géométrique » s’apparente au silence intérieur, un état de réflexe, le surfeur sait où aller car il voit où aller, il pense à la vitesse de la lumière qui grave l’image de sa direction sur sa rétine.